On ne peut évoquer la pensée de Robert Lafont sans rappeler la dimension sociopolitique, cette partie de son œuvre prolifique, parallèle à la création littéraire, à l’enseignement de la langue et à la recherche en sociolinguistique.
Il est difficile de choisir parmi ses nombreuses publications et réflexions. Son analyse des Trois Temps relate une conscience historique diachronique qui conduit à la période moderne (critique du Félibrige, formation de la période occitaniste, questions posées par l’occitanisme contemporain).
Son engagement socio-politique est au coeur d’une œuvre diversifiée. Trop brièvement ici, ce dernier volet peut être rappelé par quelques analyses dans CONTRATÈMPS (2).
1 - Dans le cours du COEA, Robert Lafont s’engage en politique en proposant des analyses nouvelles :
- le colonialisme intérieur, dans les années soixante, marque une génération de jeunes militants et rompt avec les courants culturalistes qui ont marqué profondément la Renaissance provençaliste et même occitaniste de l’Après-guerre.
Les contradictions au sein de l’IEO -entre Girard, Castan et Lafont- tiennent à la dissociation entre culture et politique. Une enquête sur l’état de la langue proposée par Lafont est refusée par Girard et Castan. La désindustrialisation, la déprise agricole et la touristification qui les accompagne en Occitanie font place à un désert économique.
La question sociale et ses conséquences culturelles s’imposent de plus en plus dans le paradigme occitan. Lafont quitte l’IEO. C’est le moment de « La révolution régionaliste » (1967) et de « Autonomie : de la région à l’autogestion » (1976). Théorie et actions militantes occitanistes renforcent ici les critiques de la période précédente. La Gauche (et la « Nouvelle » avec Rocard) y puiseront largement des idées « décentralisatrices ».
2 - La critique occitane du centralisme d’Etat est à l’origine d’une pensée qui se réclame d’une véritable régionalisation. Elle ne se laisse pas prendre à une déconcentration du pouvoir d’Etat sur des territoires dont les relais préfectoraux et le morcellement départementaliste restent la règle du pouvoir « néojacobin » (Loi Defferre).
Lafont ne voit de solution que dans une autonomie régionale et interrégionale, possible dans une autre constitution que celle de la Ve République. (1, 2)
3 - Cette pensée de l’autonomie des régions ne peut être dissociée d’une Europe en formation. Mais cette Europe des Etats est soumise aux traités successifs qui banalisent la logique du Grand marché lié à la mondialisation économique libérale et à ses logiques de financiarisation.
Au grand espoir de voir se desserrer l’étau centraliste se superpose une forte colonisation mondiale et inter-étatique. Le colonialisme intérieur dont la validité s’applique aux années soixante, laisse place à une colonisation planétaire.
4 - Pas de vraie Occitanie sans une vraie Europe appuyée sur ses régions. L’idée fédérale, refusée par le Mistral vieillissant et le centralisme d’Etat, redevient d’actualité. C’est le sens du Congrès Occitano-Catatlan (Barcelone 2000, Toulouse, Marseille) qui démontrera la montée de certaines régions européennes et « Le grand retard français ».
5 - Cette rupture avec la logique de la globalisation économique capitaliste l’amènera à produire un manifeste altermondialiste qui voit le jour sur le Larzac (Août 2003).
Ce cri Gardarem la Tèrra !, Visca lo Pòble de la Tèrra ! répond à trois exigences : « Le Peuple de la Terre a droit à la vie » (Un système fédéral démocratique mondial). Les peuples et les pays ont droit à la vie (« Instaurer la démocratie mondiale contre le tribalisme étatique, c’est-à-dire l’autonomie universelle »). La vie a droit à la vie (« la vie sur la terre est une évolution, que l’homme relaie » dira-t-il).
6 - « Nous ne sommes rien sans la société pour laquelle nous nous engageons » (3) Cette idée traverse l’œuvre politique de Lafont. Tout « sujet d’histoire » ne peut rien sans les citoyens qui le font vivre. L’initiative « Òc ciutadans ! -Oui citoyens ! sur la fin de son engagement citoyen, confirmera ce que la Convention occitane (Béziers 2002) s’efforcera de rappeler (mais pas toujours compris par trop d’occitanistes militants exclusivement dans le domaine culturel) : trouver une parole qui parle de et à la société occitane, mais qui lui parle d’une manière globale.
Pensée sociale, politique, au sens noble du terme, qui s’adresse à la communauté occitane et mondiale, pensée qui ne cache pas son signal libérateur : Gobernèm-nos !
Robert Lafont s’adresse toujours aux Occitans d’aujourd’hui, sa pensée est plus que jamais actuelle.
(1) Couverture du livre « Robert Lafont et l’occitanisme politique ». Gérard Tautil. Fédérop. 2011
(2) CONTRATÈMPS. Letras sus l’Occitania e l’occitanisme. Gerard Tautil. IEO, colleccion Ensages. Nov. 2022 -Version française, Presse fédéraliste. Avril 2023.
(3) Robert Lafont et l’occitanisme politique. Document 6, Une idée pour 2007. p 204.