Le dernier rapport de cette institution (2023) est révélateur. Sévère, il constate une absence de stratégie de la part des gouvernements liés depuis quarante ans au millefeuille territorial.
La critique est structurelle : la décentralisation a joué contre la simplicité, la superposition des niveaux territoriaux (communes, intercommunalités en compétition) s’est faite dans la juxtaposition des compétences et des budgets. L’intercommunalité a élargi ses compétences et ses budgets aux dépens des communes.
La décentralisation n’a pas été décentralisatrice (sic). Les départements et les régions sont toujours en concurrence. Le département a connu un « regain de légitimité » depuis le dernier découpage régional (2015) alors qu’il était mis en question en 2014…
Il s’est vu attribuer de nouvelles compétences comme le domaine routier ; il est devenu un échelon de la mise en œuvre des politiques d’Etat. Ce qui n’est pas nouveau. C’est une nouvelle étape qui renforce son statut de relai territorial avec le centre.
Côté chiffres, ces structures comme l’intercommunalité ont aspiré ressources humaines et financières. Les recrutements territoriaux (700 000 en 40 ans) et les dépenses locales n’ont pas pour autant renforcé les services publics.
Nous savons ce que cela signifie en terme de désertification des territoires jugés « secondaires » face à la logique de concentration métropolitaine, au vieillissement des populations et à l’affaiblissement des services qui en résulte.
Il est significatif que le nombre de communes n’a pas baissé mais que la nécessité de les réduire continue à être rappelée… La contradiction entre les différents niveaux de statuts et de compétences (Etat-collectivités territoriales/et entre collectivités) est significative du mécano hexagonal français.
Comment en sortir ? Face à ces situations, la Cour des comptes propose le renforcement de l’intercommunalité et de ses compétences ! Et, au niveau des régions, renforcer le développement économique. Tiens, on y vient ! Vrai ou faux nez ?
Quelles conséquences en tirer ?
De toute évidence, cette logique, d’au moins quatre niveaux, reste au service du centre et de ses solutions comptables. Pourtant pour la Cour des comptes, il n’est plus question de continuer à définir de nouvelles responsabilités mais de « recréer de la proximité et de la confiance entre le décideur local et le citoyen ». Si ce principe part d’un bon sentiment, il élude toute remise en question du millefeuille français. Mais en même temps, il fait écho indirectement aux difficultés de fonctionnement du Titanic.
Ce « bilan » s’illustre par une remarquable méconnaissance des « pays » (800 environ), et de cette géographie cordiale. Mais elle n’est pas seulement « cordiale », elle est historique et les technos héritiers de la Datar l’ignorent !
Ce serait pourtant une logique différente à mettre en place, complémentaire des communes aujourd’hui asséchées par l’intercommunalité et les concentrations métropolitaines. Ce serait une des conditions pour les réanimer et mettre en chantier une autre dynamique, plus cohérente, plus souple et moins compartimentée.
Les départements contre les régions restent toujours une des contradictions principales, aujourd’hui renforcée. En desserrant l’étau départementaliste, il y aurait la possibilité de réorienter les politiques régionales pour les mettre à hauteur de leurs voisines européennes (espaces territoriaux, finances, compétences).
Les départements doivent disparaître, et la solution préconisée par la Cour est de les faire fusionner avec les métropoles : ce serait reculer pour ne pas mieux sauter ! Ce serait contredire cette construction aujourd’hui anhistorique qui se méfie de toute approche fédérale. On ne sort pas de siècles de centralisme en y laissant ses certitudes et … ses échecs, à l’heure d’une Europe qui reste encore inter-étatique, malgré la poussée des revendications des pays/régions qui la sollicitent et la mettent en même temps en question.
Les technocrates doivent laisser la place à d’autres politiques, à d’autre moyens de contrôle démocratique et citoyen. D’aucuns diront qu’on entre dans le domaine de l’utopie tant les habitudes sont difficiles à changer. Alors soyons des utopistes… constructifs de ce XXIe siècle hésitant !
Gérard Tautil