Jean DALVERNY. Mistral et la Politique. 1848-1873. DFS+ Aix-en-Provence (mai 2016). 15€
Mea culpa ! Ce livre de Jean Dalverny, historien dans les classes préparatoires à Saint-Cyr du lycée militaire d’Aix-en-Provence, et aujourd’hui malheureusement décédé, m’a été adressé par son fils Jean-Yves.
C’est un livre que tout provençaliste-occcitaniste doit lire. Je l’ai lu avec plaisir, mais avec retard, après la rédaction de mon livre CONTRATÈMPS. Letras sus l’Occitania e l’occitanisme qui va sortir chez IDECO Edicions et dans lesquelles j’analyse le retrait de Mistral de la politique, de son fédéralisme de jeunesse, et surtout ses refus de répondre aux nombreuses relances faites par Maurras sur la question fédérale revisitée.
Jean Dalverny analyse la politique mistralienne en tenant compte des commentateurs majeurs, Claude Mauron et Robert Lafont, qui ont lu l’œuvre du Maillanais, tout en donnant des points de vue différents. Ce livre à la fois critique et favorable à Frédéric Mistral, est un travail qui est malheureusement resté à l’écart de la critique des « spécialistes ».
Pourtant, il met en perspective le positionnement républicain du jeune Mistral, ses déceptions politiques et ses infléchissements vers l’Empire et la monarchie ; il rappelle avec justesse comment l’auteur déçu de Calendal, après son succès (surtout parisien) de Miréio, se consacre essentiellement à l’irremplaçable travail de recherche lexicale du Tresor dóu Felibrige, principal outil de la Renaissance panoccitane.
Faut-il le rappeler à certains révisionnistes provençalistes, aujourd’hui très minoritaires ? Il rappelle les contradictions propres aux fondateurs, réunis à Font-Ségugne, berceau du Félibrige essentiellement vauclusien. Issus de la bourgeoisie provençale (6 sur 7) ils participent d’une forme d’élitisme, autour de l’aristocrate monarchiste Roumanille, artisan de son « provençal nettoyé » (sic).
Le marseillais Victor Gelu refusera de rejoindre le Félibrige « en raison de ses références conservatrices et religieuses proposées à ses militants », écrit J. Dalverny. Pourtant, le Félibrige sous l’impulsion de Mistral s’affirme à son origine comme le lien entre les différentes composantes du peuple provençal et cela à travers le respect de la langue pour le plus grand nombre. Ils pour Mistral l’expression de la langue historique des « Midis ».
Jean Dalverny rappelle ce retrait de la politique opéré par Mistral. Aurait-il subi l’influence des félibres conservateurs qui l’entourent ou son républicanisme n’est-il que d’apparence, se demande-t-il ?
La contradiction que rencontre le défenseur de la langue provençale est majeure face au poids culturel de la langue française et à la centralisation historique depuis le 16e siècle, renforcée par 1a Révolution et le Premier Empire.
Or la défense de la langue est politique : « Ni l’Empire ni la République ne pourront l’accepter. Mistral s’y cassera les dents », dit-il. D’où le repli mistralien sur une stratégie prioritaire de reprise de la langue en Provence ; le pari félibréen veut se renforcer en 1863 et Mistral veut contrôler les débordements anti-français qui pointent parfois chez Roumanille et Aubanel.
C’est sans doute là qu’il est pris à son propre jeu : comment concilier l’affirmation d’une « nation provençale », la critique de la centralisation et le rappel « Nous sommes de la grande France, franchement et loyalement ? » J. Dalverny y voit une « habileté » et un « pouvoir d’initiative dont il ne se prive pas ».
Mais aussi une limite en raison de la composition hétéroclite des membres et proches du Félibrige qui ne dissocient pas catholicisme et Provence : aristocrates et royalistes nostalgiques de l’ancienne Provence, attachés à la « terre » et aux libertés anciennes, légitimistes « modérés », partisans d’un catholicisme social…
C’est sans doute dans ce contexte que Mistral fait souvent référence à Dieu, à l’opposé de ses premières années d’engagement. Conservateur, il adhère au Code napoléonien qui garantit ses terres. Confronté au camp républicain, face à la répression du général Cavaignac (journées de 1848), il s’éloignera des ouvriers et des socialistes réduit au statut « d’émeutiers ».
La crainte de la violence et des partejaires urbains l’oppose au « peuple des campagnes » et des bourgs. La fracture sociale devient fracture politique. Il saisit alors une opportunité : lecteur du Principe fédératif de Proudhon en 1863 (plus que de son ancrage socialiste), il y trouve, à l’opposé du séparatisme, une solution décentralisatrice, une Provence autonome et la langue protégée. Voire même une « grande nation ligure » qui préfigure l’Union latine.
Sans oublier les Catalans fédéralistes qui l’incitent à réfléchir sur la situation politique de la France et dont le « régionalisme offensif » de Balaguer (son catalanisme nationaliste) est bien différent du régionalisme provençaliste. Cette relative avancée ne l’empêche pas de rompre avec la « secte démocratique » des républicains et de rejoindre le bonapartisme. Engagement qui se double d’un rappel à l’ordre fait aux félibres : « Le Félibrige ne peut être que girondin, religieux, libéral et respectueux des traditions. »
Cette double rupture s’affirme avec les communes de Paris et de Marseille qui vont renforcer son conservatisme. Jean Dalverny y voit « le grand tournant du régionalisme mistralien ».
L’auteur met en perspective la montée d’un mouvement ouvrier révolutionnaire diversifié, la défaite devant la Prusse, la proclamation de la République avec Gambetta - hostile aux « particularismes régionaux » -, le siège de Paris et sa capitulation (janvier 1871), l’insurrection face au gouvernement Thiers, qui fait encercler Paris insurgé après avoir accepté toutes les conditions du chancelier prussien.
Face à la guerre civile qui divise deux camps dans Paris (celui qui a signé une paix honteuse, le pouvoir légal issu des urnes, et le camp révolutionnaire), et face à l’écrasement de la Commune, Mistral dénonce la violence. Entre-temps Marseille a connu ses deux communes dont la répression de la deuxième a fait plus de 150 morts et 800 arrestations.
Le Maillanais n’ignore pourtant pas que la première a penché vers le fédéralisme avec Crémieux. Certes, à condition de ne pas le lier au socialisme… Tout est dit, les communes de Paris ne feront que conforter sa méfiance et son éloignement de la politique.
Il ne verra pas, dit J. Dalverny « que le système communaliste se veut fondé sur l’entraide, le dialogue, la générosité, l’égalité avec l’impérative nécessité de courage et du combat poussés jusqu’au fanatisme meurtrier que les révolutions populaires exigent. ».
Une chose apparaît clairement pour l’auteur : les illusions fédéralistes sont balayées par le néo-jacobinisme parisien. L’illusion mistralienne s’en tient au principe d’un fédéralisme pacifique favorisant l’action régionale « respectueuse d’un ordre qualifié de bourgeois par ceux qu’il veut ignorer. » Les fédérés ont corrompu le fédéralisme politique. Ce constat boucle cette période du mistralisme.
Il est dommage que cette étude s’arrête à l’année 1873. Il est vrai que le retrait de toute action politique pour F. Mistral sera la fin de l’espoir d’une politique régionaliste décentralisée. Et les relances d’un Charles Maurras, fédéraliste conservateur et monarchiste, resteront sans réponse.
Toute sa correspondance témoigne du repli essentiellement culturaliste du Capoulié à vie du Félibrige. Tout le courrier de Mistral témoigne de ce repli irréversible au-delà de la période étudiée par l’auteur. Un exemple parmi d’autres : « Se lachan uno fes la passioun de la lengo pèr nous esperdre i ranganello de la decentralisacioun, lou Felibrige sara malaut.
Leissen patouia aqui-dintre li qu’an ges de pouèmo à faire. » (Lettre à Devoluy. Septembre 1901)
Pour comprendre les chemins difficiles – mais pas si buissonniers que cela – de la pensée culturelle et politique de Mistral, il faut lire le livre documenté et ouvert de l’Aixois Jean Dalverny.
Gérard TAUTIL
(Article publié en occitan dans la page de Mesclum-La Marseillaise. Mai 2022)